Il y deux semaines, l’opinion publique tablait sur une régulation du secteur plutôt qu’à son interdiction totale.
Une rencontre avait été organisée le 15 novembre 2021 entre le gouvernement et les principaux acteurs du secteur. La IAMAI (Membres d’India Internet et Mobile Association) et la BACC, (Blockchain and Crypto Assets Council) étaient au rendez-vous. L’objectif mis en avant : comprendre l’impact potentiel que peut avoir les cryptomonnaies sur l’économie indienne.
Tous les feux semblaient au vert pour une régulation qui irait dans le sens de l’acceptation des cryptomonnaies.
Finalement, l’Inde a décidé d’interdire les cryptomonnaies sur son territoire et de créer sa Monnaie Numérique de Banque Centrale (MNBC), l’idée étant de décourager l’investissement dans ces actifs tout en favorisant la technologie sous-jacente. Récemment, la BCCI, instance dirigeante du cricket en Inde, a interdit la promotion des plateformes d’échange crypto durant la prochaine saison de cricket.
La situation économique du pays
L’Inde a connu un ralentissement de son économie avant la pandémie pendant huit semestres consécutifs, en raison d’un ralentissement de son secteur secondaire (industrie/transformation de matière première) et de son secteur tertiaire (services). Parallèlement, le pays a vu ses importations augmentées mécaniquement, relativement à ses exportations.
Le pays a vu le solde de la balance commerciale ramené de -26,7 à 10,5 milliards d’USD entre les T1 2019/20 et 2020/21 (Source). Cela s’explique par la conjoncture. Ses exportations ont diminué fortement notamment avec son premier client : les États-Unis. Dont les exportations avec ce dernier représentent 16,6 % du total des exportations du pays. Début 2020, les restrictions sanitaires ont fortement ralenti la production et la demande intérieure. Cependant, les exportations avec ses deux autres principaux clients : l’Arabie saoudite (à hauteur de 7,6 % des exportations) et la Chine, (à hauteur de 7,6 % des exportations) ont augmenté. De plus, le solde a été soutenu par des transferts d’argents venus de l’étranger qui on peut faibli malgré le contexte sanitaire ; représentant en glissement annuel (g.a) – 2019/20, 13,4 milliards d’USD au premier trimestre (T1) 2020 et 11,7 milliards d’USD au premier trimestre 2021 (en glissement annuel 2020/21).
On enregistre une baisse du PIB de 7,3 % de 2020 à 2021. Pour faire face à la crise, la RBI, Reserve Bank of India, a injecté des liquidités dans le système économique, mais a été limitée par son objectif d’inflation cible fixé à 4 % avec +/- 2 %. Le PIB représente alors 2622.98 milliards en USD en décembre 2020. L’équivalent de 4,7 % du PIB en liquidités a été injecté. Néanmoins, du côté des investissements, les affaires se corsent. Les IDE (Investissement direct étranger) ont chuté de 98 % en g.a. : -0,4 milliards d’USD au T1 2020/21 contre 14 milliards d’USD au T1 2019/20. Pour ce qui est des investissements de portefeuille, une reprise s’est amorcée après les désinvestissements massifs entre janvier et mars 2020.
Aujourd’hui, l’économie indienne reprend. Selon l’OCDE, la croissance du PIB devrait atteindre 9,4 % au cours de l’exercice budgétaire 2021-22, avant de descendre à 8,1 % en 2022-23 puis à 5 ½ pour cent en 2023-24 (source). Néanmoins, il faudra s’attendre à un fort ralentissement si le nouveau variant se propage à la population et cet évènement se constate à l’international ; s’accompagnant alors d’un ralentissement de l’économique généralisé.
Les conclusions
En Inde, la réglementation demeurait ambiguë. Alors que le pays compte un grand nombre d’acteurs, Shaktikanta Das, avait à de nombreuses reprises soulevé des inquiétudes concernant l’émergence du secteur et le tapage médiatique qui en découlait. Or, en à peine 6 mois, le pays a généré deux licornes : Coinswitch et CoinDCX et le jeton natif de WazirX, appelé WRX, a atteint une valorisation d’un milliard de dollars en mars de cette année.
Dans la même lignée, selon Raghuram Rajan, ancien gouverneur de la RBI, les cryptomonnaies constituent un risque pour la stabilité économique du pays.
À l’instar de la Chine, l’ancien gouverneur pointe du doigt la possibilité de voir les comportements de fraudes et le blanchiment d’argent encouragés par l’utilisation des cryptomonnaies.
Par ailleurs, selon Raghuram Rajan, les cryptos risqueraient de provoquer une baisse de la demande du Roupie. Ceci entraînerait de l’instabilité au niveau macroéconomique, et ce, au profit d’actifs qui ne reposent sur aucune valeur concrète.
Pour lui, malgré les propriétés de réserve de valeur et d’intermédiaire des échanges qu’on peut leur attribuer, leur valeur est décorrélée de la réalité. Un investissement important dans les cryptos pourraient alors être dramatique pour les personnes qui se risqueraient à investir dans ces actifs dont la valeur risque de baisser considérablement.
De plus, au vu du contexte économique, l’Inde entend bien dynamiser les investissements dans son pays et voit dans les cryptomonnaies, un actif trop volatil et donc trop risqué comparé à d’autres actifs traditionnels comme les actions.
Le dilemme de la régulation
Suite à la réunion organisée avec les acteurs du secteur, l’Inde a pris la décision de restreindre le secteur en interdisant la détention de cryptomonnaies, ceci étant justifié par un challenge jugé de taille. En effet, on estime qu’il est difficile de réglementer le secteur, car trop important. Par ailleurs, même si la question de la régulation se pose, la RBI y voit un risque. Le risque de dire implicitement à la population, que l’investissement en crypto est “sûr” car réglementé alors qu’il n’en n’est rien selon la RBI. Ainsi, le compromis a été trouvé dans l’adoption d’une MNBC. À tort ou à raison ? Reste à voir ce qui sera adopté dans la continuité des projets de loi prochainement.